Sur l'île, une prison/Entretien avec Maurizio Torchio

Da mauriziotorchio.

< Sur l'île, une prison

Entretien avec Maurizio Torchio

Richard Contin. Le concierge masqué, 13 settembre 2016.

Voici cette semaine un roman qui m’a énormément plu, «Sur l’île une prison» chez Denoël Edition de Mr Maurizio Torchio. Une écriture qui m’a fait penser à mon regretté ami Hafed Betnoman. Juste avec quelque mot il nous fait ressentir ce que la prison peut faire. Une histoire qui vous prend par les trippes et ne vous lâche pas, retenez ce nom il fera partie des très grands écrivains italiens de sa génération. Un roman puissant qui ne vous laissera pas indemne.


Bienvenue sur le divan du concierge, ma première question permet de vous connaître mieux, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de France qui ne vous connaissent pas, comment vous êtes venu à l’écriture ?

J’ai quarante-six des ans, une licence en philosophie, vis entre Torino et Milan et je travaille aux archives historiques de Fiat. Comme beaucoup, j’ai commencé à écrire pendant l’adolescence, pour me consoler. Ensuite j’ai continué.


Comment vous est venue l’idée d’écrire «Sur l’île une prison» chez Denoël Edition ?

J’écoutais à la radio une transmission sur la prison faite fondamentalement de lettres de détenus. Je l’écoutais toutes les semaines, ces paroles m’intéressaient, ces messages en bouteille d’un monde fermé. Jusqu’à ce que je me dise : l’histoire de mon prochain livre se passera là ! Je n’avais encore pas la moindre idée sur quoi j’écrirais, mais ce genre de distorsion m’intéressait, l’amplification que la prison comporte. Les problèmes de nous tous – les affections, vieillir, les regrets, les espoirs, les rapports de force… – dans le grand vide d’une prison ils acquièrent une tonalité nouvelle, une urgence différente.


« La prison compte plus d’habitants que le village » Parlez-nous de cette prison que vous décrivez dans votre roman.

C’est une prison imaginaire construite à partir de fragments de prisons réelles. J’adore me documenter pour écrire, c’est ce que je préfère, ce qui me donne le plus de satisfaction. A la fin de la journée je ne peux pas savoir si j’ai écrit quelque chose qui en vaut la peine, je peux par contre être certain d’avoir appris quelque chose. Voilà pourquoi, pendant les cinq ans que j’ai mis à écrire ce livre, j’ai dédié beaucoup de temps à me documenter. J’ai visité de vraies prisons pour parler avec les personnes, mais j’ai surtout lu. Témoignages d’hier et aujourd’hui, italiens et – surtout – internationaux. Ma prison a quelque chose d’européen mélangé à des détails des Etats Unis (le pays au monde avec le plus haut taux d’incarcération). Quelque chose des prisons typiques des années 70-80 avec quelque chose d’actuel. Quelque chose de l’imaginaire du dix-neuvième siècle et de la surveillance technologique d’aujourd’hui.


Parlez nous de votre personnage principal : Toro.

Toro n’est pas le personnage principal du livre : il est un détenu de crime organisée à l’ancienne, une partie d’un monde qui craque. Formellement, tous le respectent mais son emprise sur la prison se desserre. Le personnage principal du livre, la voix du narrateur, l’homme qui a été d’abord ravisseur et ensuite détenu, n’a pas de nom. Il parle d’une cellule isolée, a passé de longues périodes dans le noir absolu. D’une certaine façon, Il est le point zéro : l’origine des coordonnées de la prison.


Il y a une chose qui m’a touché dans votre roman, c’est les rapport entre le ravisseur et la kidnappée dans cette grotte, pouvez-vous nous en parler ?

Je voulais un personnage à la fois victime et bourreau. Je voulais que tous, dans le livre, soient aussi bien victimes et bourreaux. Etre victime aujourd’hui – d’une prison injuste, par exemple – n’égalise pas le fait d’avoir été un bourreau hier. Cela ne justifie pas l’oublie. Choisir comme narrateur quelqu’un qui avait enlevé la liberté, qui avait été geôlier avant être détenu, m’étais d’une grande aide. Ensuite, au moment de raconter la séquestration, l’intimité et l’attraction sont venues en premier plan. Attention : pas le classique syndrome de Stockholm, ni la Belle et Bête. Le narrateur à l’instant de la séquestration était très jeune et a été arrêtée très vite après. Cette période dans une grotte avec une femme coïncide avec son dernier été d’homme (perversement) libre. Les regrets pour les petites choses, les petites attentions, celles qui ont existé ou qui auraient pu exister, finissent par raconter une histoire d’amour. À distance, à sens unique, mais pour toujours une histoire d’amour.


« Au pays des Enne, ceux qui sont à l’extérieur payent pour utiliser les noms de ceux qui sont à l’intérieur. » On voit dans votre roman qu’il y a des groupes en prison est-ce vraiment comme ça ?

Oui, il y a des instants où les prisons assument un rôle primordial dans la vie d’un pays. Le monde du dehors – et pas seulement les criminels – attend l’assentiment ou la médiation de ceux de l’intérieur avant de se bouger.


Et puis vous montrez l’autre coté, la solidarité des détenus contre les gardiens qui abusent de leur pouvoir.

Les gardes n’abusent pas de leur pouvoir. Ce sont des abus structurels, inévitables, donc ce ne sont plus des abus : c’est le poison d’être enfermé qui crée prévarication et alliances (variables) en réponse à la prévarication. Ennuis à idéaliser la solidarité entre détenus. S’il y a une place où les opprimés devraient avoir conscience de leur commune condition d’oppression… eh bien, cela devrait être la prison non ? Le rapport en nombre entre gardiens et détenus est tel que presque aucune prison ne tiendrait si les détenus, comme un seul homme – les détenus sont presque tous des hommes -, se refusait d’obéir. A l’inverse, la population carcérale est divisée, déchirée en mille appartenances et haines. Comme à l’extérieur.


Avez-vous une anecdote à partager avec nous sur votre roman ?

Après la sortie du livre, le présentateur du programme radio sur la prison, dont j’ai parlé au début, m’a appelé. Il m’a demandé si j’étais libre. Je lui ai répondu bien sûr, que volontiers, j’avais le temps de parler avec lui. Et lui, par contre, voulait savoir si j’étais encore en procès, si le portable avec lequel je lui parlais était entré légalement en prison. En somme : il pensait qu’il s’agissait d’une histoire vraie. D’une certaine façon cela m’a fait plaisir. L’écriture est une chose étrange, puissante, mystérieuse, qui échappe des mains de celui qui l’a crée. On écrit sans se préoccuper de la vérité factuelle et néanmoins il en sort, de quelque façon, un effet de vérité. D’un autre côté, comme citadin, cela m’a attristé. Les détails pénitentiaires pris des Etats Unis vers la moitié du 20ème siècle, ou du monde colonial, étaient échangés pour actualité d’une personne qui de prison en savait trop. Ceci signifie que quelque soit la prison, l’époque, et le lieu, il y a une parenté, une ressemblance, un air de famille impressionnant.


Les écrivains portent ‘il une responsabilité de montrer les disfonctionnements d’une société ?

Non. L’unique responsabilité des écrivains est l’écriture. L’indignation, l’envie de changement peuvent naître de la lecture comme un de ses effets secondaires mais sur eux l’écrivain n’a aucun pouvoir. Il ne sait pas de quelle société on lui parle.


Quelle musique accompagnerait le mieux votre roman ?

Peut-être quelque chose de sériel, d’atonal. Du genre Steve Reich, pour être plus clair.


Quels sont vos écrivains préférés ? Et quel est votre livre de chevet actuellement ?

Je n’ai pas de goûts très originaux : donnez-moi un Tolstoï et je serai content. En ce moment sur le chevet (même si je l’écoute en voiture en audio-livre) j’ai « Les Princes de Francalanza » de Federico Di Roberto, un roman sur la réunification italienne.


Quels sont vos Films préférés ?

Herzog, par exemple. Quoi que ce soit de Werner Herzog. Ou plus récemment « The Act of Killing » de Joshua Oppenheimer, ou « Mauvaise graine » de Claudio Caligari.


Le concierge est curieux ! Est ce que vous êtes sur un nouveau projet littéraire ?

Certainement. C’est un dialogue entre les vivants et les morts. Je mets beaucoup de temps à écrire, et comme toujours je me documente d’abord.

Sur l'île, une prison
Biographie et contacts